C’est urgence chirurgicale ophtalmologique.

Le décollement de rétine (DR) est une séparation entre la rétine sensorielle et l’épithélium pigmentaire.

1. Physiopathologie

1.1. DR rhegmatogène : cas le plus fréquent

Il est secondaire à une déhiscence de la rétine (déchirure ou trou rétinien induit par une traction du vitré sur la rétine), en rapport avec des facteurs de risque bien identifiés.

Les déhiscences rétiniennes surviennent le plus souvent lors du décollement postérieur du vitré. La perte d’acide hyaluronique entraînant la liquéfaction et le collapsus du gel vitréen, le corps vitré se détache de la partie postérieure de la rétine mais reste fortement attaché à sa partie équatoriale; il en résulte des tractions pouvant entraîner des déchirures à la partie postérieure de la base d’insertion du vitré: le liquide présent dans la cavité vitréenne passe alors à travers la déchirure et crée la séparation entre rétine sensorielle et l’épithélium pigmentaire.

On considère qu’il existe un décollement de rétine quand le soulèvement des bords de la déchirure excède 2 diamètres papillaires.

Les déchirures géantes s’étendent au moins sur 3 quadrants horaires.

Les DR chroniques se caractérisent par la présence de lignes de démarcation et des kystes intra rétiniens.

1.2. DR tractionnel : plus rare, il est du à une traction exercée par un tissu prolifératif fibreux, notamment en cas de rétinopathie diabétique.

1.3. DR exsudatif

Il est le plus souvent secondaire à une pathologie inflammatoire ou tumorale de la choroïde ou à une rupture de la barrière hémato-rétinienne. Le liquide sous rétinien est alors riche en protéines et de forte densité. La topographie du décollement de rétine est mobile, suivant la position du patient.

2. Epidémiologie – Facteurs de risque

Incidence : 1 cas pour 10 000 par an

Facteurs de risque :

  • âge supérieur à 50 ans
  • myopie forte
  • antécédent chirurgical oculaire (cataracte, vitrectomie)
  • contusion oculaire
  • existence de lésions de fragilité rétinienne périphérique (dégénérescence palissadique)
  • décollement de rétine dans l’oeil controlatéral
  • antécédent familial de décollement de rétine

Un DR peut survenir dans le 2è oeil dans 10% des cas, dans un délai inférieur à 3 ans.

3. Clinique

3.1. Signes fonctionnels

Signes d’alarme :

  • phosphènes périphériques (flash lumineux répétés en périphérie du champ visuel) traduisant les tractions du vitré sur la rétine périphérique
  • myodésopsies (corps flottants) : perception de filaments translucides (condensation des fibrilles de collagène dans le vitré) ou hémorragie du vitré à minima (déchirure rétinienne ayant sectionnée un vaisseau).

Scotome périphérique : apparition d’une amputation progressive d’une partie du champ visuel traduisant le décollement de rétine proprement dit.

Baisse visuelle parfois plus tardive (traduit le décollement de la macula)

3.2. Examen ophtalmologique

  • Mesure de l’acuité visuelle (médico légale), Pression Intra Oculaire (le DR peut entraîner une hypotonie), présence d’une cataracte pouvant gêner la chirurgie
  • Examen du fond d’œil : schéma+++ de l’étendue et limites du décollement de rétine, recherche de l’existence d’un décollement maculaire et rapports vitréo-rétiniens, examen de la périphérie rétinienne afin de localiser la ou les déchirures causales. Dans environ 20% des cas, il existe plus d’une déchirure. Les déchirures localisées en rétine non soulevée doivent également être identifiées et traitées.

Pour chercher les déchirures, on peut s’aider des Lois de LINCOFF :

  • En cas de DR inférieur de topographie à peu près symétrique par rapport au méridien vertical, il faut rechercher la déchirure à 6H.
  • Si le décollement de rétine est constitué de 2 poches inférieures, il faudra rechercher la déchirure à 12H.
  • En cas de décollement plus haut d’un côté que de l’autre, il faut rechercher la déchirure du côté le plus haut. Le plus souvent, celle ci est retrouvée à 1 ou 2 cadrans horaires du bord supérieur du décollement de rétine.

Chez les pseudophaques, les déchirures sont souvent difficiles à identifier parce qu’elles sont de petite taille et localisées en extrême périphérie.

3.3. Examens complémentaires

Aucun n’est indispensable, une échographie en mode B peut être envisagée si l’examen de la rétine est difficile (cataracte obturante, hémorragie intra-vitréenne) ; ainsi qu’une radiographie ou un scanner orbitaire en cas de suspicion de corps étranger intra oculaire (traumatisme perforant).

4. Traitement du décollement de rétine :

Il est chirurgical sous anesthésie locale le plus souvent, ou générale.

Le but du traitement est d’occlure la ou les déhiscence(s) (trou et/ou déchirure) responsable(s) du décollement, c’est-à-dire de remettre le bord décollé de la déhiscence au contact de l’épithélium pigmentaire et de la choroïde

Plus le décollement de rétine dure longtemps plus les photorécepteurs dégénèrent, ce qui pousse à intervenir rapidement.

4.1. Délai

  • Si la macula n’est pas décollée, mais que le risque de décollement maculaire est imminent, le traitement chirurgical est urgent et doit être entrepris dans les 24 heures suivant le diagnostic. Le patient est positionné en attendant la chirurgie pour éviter la progression du DR.
  • Si le décollement de rétine est périphérique et qu’il ne présente pas de risque de progression rapide, son traitement est réalisé dans un délai de quelques jours à 1 semaine.
  • Si la macula s’est soulevée quelques jours avant l’examen, le traitement du décollement de rétine est habituellement réalisé dans un délai de 1 à 2 jours, car les résultats fonctionnels sont meilleurs si la macula a été décollée moins d’une semaine.
  • Si le décollement est chronique avec une macula déjà soulevée depuis plusieurs semaines, le traitement du décollement de rétine doit être réalisé de préférence dans un délai de 1 à 2 semaines.

4.2. Indentation : chirurgie ab externo

Cette technique consiste à déformer localement la paroi du globe en suturant sur la sclère un explant cylindrique de telle sorte qu’il inverse la courbure du globe et fasse faire une saillie à la paroi vers l’intérieur de la cavité en regard de la déhiscence.

Elle est de moins en moins utilisé mais reste essentielle dans certains cas : déchirure inférieure, désinsertion à l’ora, patient phake et jeune avec un décollement limité…

Elle peut être combinée à une vitrectomie.

4.3. Vitrectomie : chirurgie ab interno ou endoculaire

Cette technique représente plus de 80 % des chirurgies.

Elle est réalisée à l’aide de micro-incisions (moins de 1 mm) effectuées à travers la paroi sclérale.

De première intention, en cas d’hémorragie du vitré, ou d’opacités cristalliniennes, en cas de déchirure géante (> 90°) ou de décollement de rétine déjà compliqué de prolifération fibreuse prérétinienne (prolifération vitréo-rétinienne).

Cette technique impose un tamponnement intra-oculaire en fin d’intervention pour maintenir la rétine collée le temps que la rétinopexie soit efficace (mélange air/gaz ou silicone).

Dans les deux cas, il est nécessaire de créer une cicatrice adhésive entre la rétine et la choroïde (rétinopexie) afin de maintenir la déchirure fermée à long terme, soit par cryopexie transclérale (en cas d’indentation), soit par photocoagulation laser (en cas de vitrectomie).

4.3.1. Gaz intra oculaire

  • Les trois gaz utilisés en chirurgie vitréorétinienne sont le SF6, le C2F6 et le C3F8 dilués le plus souvent avec de l’air pour obtenir un mélange non expansif qui remplira la cavité vitréenne en fin d’intervention. Habituellement, ces dilutions sont respectivement de 20 %, 17 % et 12 %. Cette dilution permet d’avoir un mélange gazeux dont l’expansion ne dépasse jamais la dilution naturelle, la bulle étant initialement iso volumétrique avant de diminuer progressivement de taille car la résorption devient plus importante que l’expansion du mélange. Le gaz est choisi en fonction de la durée de tamponnement souhaitée.
  • Le SF6 utilisé pur voit son volume doubler en 48 heures après injection ; sa résorption totale prend environ 3 semaines. Le C2F6 pur voit son volume multiplié par 3, sa résorption totale prenant environ un mois, alors que le C3F8 pur quadruple son volume et se résorbe en environ 6 à 8 semaines.

4.4. Évolution post-opératoire et résultats

La réapplication anatomique est obtenue après une intervention dans > 80% des cas, et dans plus de 95% des cas après réintervention.

L’amélioration visuelle est excessivement variable, notamment selon le statut maculaire initial.

Le DR est une complication grave pouvant conduire à la perte fonctionnelle et anatomique de l’œil.

5. Complications :

5.1. Prolifération vitréo-rétinienne

Ce processus complexe est à l’origine de membranes fibro-cellulaires contractiles s’opposant à la réapplication de la rétine (Figure 1). Elle est initiale (souvent dans les DR anciens) ou survient dans le mois suivant la chirurgie et peut être responsable de récidives.

Figure 1 : DR inférieur avec un noeud de PVR temporal inférieur

L’examen clinique met en évidence l’existence d’amas pigmentaires dans le vitré, un enroulement des bords des déchirures et un aspect plissé des couches internes de la rétine, puis la présence de plis rétiniens. (Tableau 1)

STADE A  Trouble vitréen, pigments vitréens
STADE B  Plissement de la rétine interne (aspect cérébriforme), enroulement des bords de la déchirure
STADE CPostérieure (P)Type 1Plis stellaires
  Type 2Rétraction diffuse de la rétine en arrière de l’équateur
  Type 3Prolifération sous rétinienne
    P1 : 1 quadrantP3 : 3 quadrants
   P2 : 2 quadrantsP4 : 4 quadrants
 Antérieure (A)Type 4Rétraction circonférentielle
  Type 5Perpendiculaire et/ou traction antérieure en avant de l’équateur
    A1 : 1 quadrantA3 : 3 quadrants
   A2 : 2 quadrantsA4 : 4 quadrants
Tableau 1 : Stades de prolifération vitréo-rétinienne

5.2. Complications de l’indentation :

  • Point perforant lors de la mise en place de l’indentation : risque d’hypotonie ++ et de déhiscence iatrogène
  • Risque d’hémorragie sous rétinienne lors de la réalisation de la ponction du liquide sous rétinien
  • Ischémie du segment antérieur (“string syndrom” après cerclage complet et/ou désinsertion d’un ou de plusieurs muscles : douleurs orbitaires à irradiation temporale, oedème cornéen stromal, Tyndall de chambre antérieure et hypertonie oculaire)
  • Mauvaise tolérance et/ ou infection du matériel d’indentation
  • Hypertonie oculaire
  • Complications musculaires (diplopie)
  • Modifications de longueur axiale et de la réfraction
  • Récidive du DR

5.3. Complications de la vitrectomie :

  • Complications peropératoires : infusion sous rétinienne, blessure cristallinienne, déchirure iatrogène, incarcération de la rétine dans les sclérectomies, hémorragie choroïdienne…
  • Complications post opératoires : cataracte cortico nucléaire et sous capsulaire postérieure (induite par la vitrectomie et le tamponnement par gaz), hypotonie, hypertonie, modifications de la réfraction, endophtalmies, hémorragie intra-vitréenne, déchirures inférieures, pli maculaire, bulle de PFCL sous maculaire, récidive du DR

5.3.1. Hypertonie post vitrectomie :

  • Une élévation de la pression intraoculaire (PIO) est fréquente après vitrectomie. Cette élévation peut survenir même en l’absence de tamponnement interne. Certains terrains sont plus exposés à une élévation de la PIO postopératoire : glaucome connu, myopie forte, mise en place d’une indentation associée à la vitrectomie.
  • La bulle de gaz peut être responsable d’une hypertonie par blocage pupillaire, par overflow ou par expansion du mélange gazeux.

L’expansion sera maximum deux à trois jours après l’intervention puis commencera à décroître progressivement. C’est donc dans cette période que le risque d’hypertonie est maximal.

Même à distance de la chirurgie, une expansion du mélange gazeux peut être provoquée par la variation de la pression atmosphérique. En effet, en cas de séjour en altitude ou de voyage en avion, la baisse de pression entraînera une hypertonie par augmentation de taille de la bulle de gaz. Ce phénomène peut également se produire en cas d’anesthésie générale avec utilisation de protoxyde d’azote qui diffuse dans la bulle de gaz et augmente sa taille. Les patients ayant du gaz dans l’œil doivent impérativement porter un bracelet indiquant la nature du gaz utilisé.

En postopératoire, et ce que jusqu’à la résorption complète du gaz, les voyages en avion et les séjours en altitude au dessus de 1 000 mètres sont strictement contre indiqués. En cas d’anesthésie générale, pour tous autres raisons, l’utilisation du protoxyde d’azote sera proscrite.

5.3.2. Prise en charge d’une hypertonie :

  • La recherche d’une hypertonie devra être systématique dans les jours suivants l’intervention, notamment en cas de tamponnement. Elle sera suspectée devant des douleurs importantes accompagnées de céphalées et de vomissements (tableau I).
  • L’acétalozamide (Diamox®) par voie intraveineuse est utilisé en postopératoire immédiat puis répété toutes les 8 heures jusqu’au contrôle pressionnel ou jusqu’au relai par un traitement local. Selon les habitudes du chirurgien, un traitement hypotonisant local sera prescrit de façon systématique ou en cas de facteur de risque.

L’ordonnance postopératoire d’une vitrectomie avec tamponnement comprend habituellement un hypotonisant, souvent une bithérapie, pour une semaine ou plus. L’utilisation de prostaglandines dans un contexte postopératoire inflammatoire est à éviter du fait du risque théorique d’œdème maculaire. Le plus souvent, la PIO se normalise dans les semaines suivant l’intervention. Le traitement hypotonisant sera maintenu jusqu’à normalisation de la PIO.

  • Dans quelques cas de chirurgies itératives, de blocage pupillaire ou de glaucome méconnu sous-jacent, une élévation durable de la PIO peut s’installer avec la nécessité d’un traitement définitif. De même, en cas de glaucome connu le traitement hypotonisant peut être intensifié de façon définitive.

5.3.3. Hypotonie post vitrectomie :

Les vitrectomies transconjonctivales 23 et 25 gauge peuvent être suivies d’une phase d’hypotonie (< 5 mmHg) dans les jours suivants l’intervention. Dans ce cas, il faudra rechercher un Seidel en regard des orifices de sclérotomie ou un décollement choroïdien au fond d’œil. Une hypotonie transitoire sera également suspectée en cas d’hémorragie intravitréenne postopératoire. Si elle n’a pas d’impact clinique, elle ne nécessite ni traitement ni surveillance particulière. En cas de décollement choroïdien important et de Seidel persistant, il faudra suturer les orifices de sclérotomie.

Certaines circonstances exposent au risque d’hypotonie : patient déjà vitrectomisé, myope fort, patient jeune (< 50 ans). Chez le myope fort, elle est particulièrement redoutée car elle se complique souvent d’une hémorragie intravitréenne.

5.3.4. Étiologies et prise en charge des variations de la PIO :

CausesPréventionTraitement
Hypotonie des vitrectomies sans sutureVérification en fin d’intervention des sclérotomiesSuture des sclérotomies si Seidel ou décollement choroïdien persistant
Hypertonie par expansion du mélange gazeuxMélange non expansif SF6 20 %, C2F6 17 %, C3F8 12 %Exsufflation si hypertonie non contrôlée par un traitement médical
Hypertonie liée à l’altitudeContre-indication stricte au voyage en avion et au séjour en altitude > 1000 mPrise de Diamox®, perdre de l’altitude
Hypertonie par diffusion du protoxyde d’azote dans la bulle de gazBracelet vert ; contre-indication au protoxyde d’azote pour tous les patients avec un tamponnement par gazTraiter l’hypertonie, arrêt de l’exposition au protoxyde d’azote
Hypertonie chez l’aphake par blocage pupillaireIridectomie inférieure (si gaz) ou supérieur (si silicone lourd) peropératoireIridotomie laser inférieure (si gaz) ou supérieur (si silicone lourd) post opératoire
Hypertonie par fermeture de l’angleEviter le décubitus dorsal ; surveillance des patients avec un angle étroitExsufflation
Hypertonie par remplissage excessif de gaz ou de silicone (overflow)Remplissage progressif ; régler la PIO en fin d’échangeAblation d’une partie de l’huile de silicone.
Exsufflation si hypertonie non contrôlée par un traitement médical.
Hypertonie par émulsion de l’huile de siliconeEviter un tamponnement par huile de silicone prolongéAblation du silicone ; traitement difficile car hypertonie souvent résistante au traitement

6. Particularités :

6.1. DR du pseudophaque

Particulier pour 2 raisons principales :

  • l’examen de la périphérie rétinienne est souvent difficile et incomplet en raison des opacités capsulaires et du bord de l’implant ; de plus, les déchirures sont souvent multiples.
  • la technique chirurgicale est dans la majorité des cas une vitrectomie de première intention, de façon à voir et à traiter toutes les déchirures, celles en rétine décollée et celles qui peuvent exister en rétine à plat.

6.2. DR du myope fort par trou maculaire et déchirures paravasculaires postérieures :

Le diagnostic clinique de décollement plan est favorisé par l’OCT, qui permet de le distinguer du rétinoschisis postérieur ; le décollement de rétine du myope fort est souvent associé à un staphylome et à un vitré non décollé ; il peut être secondaire à un trou maculaire ou à une déchirure paravasculaire postérieure à la limite de la zone d’atrophie choriorétinienne.

La vitrectomie associée à l’utilisation des colorants est habituellement le traitement de première attention.

7. Traitement préventif du décollement de rétine

Les déchirures rétiniennes symptomatiques constituées lors du décollement postérieur du vitré, doivent être entourées par photocoagulation laser, en urgence, avant que ne se produise le décollement de rétine.

Les patients doivent être ensuite suivis de manière rigoureuse, et un traitement complémentaire envisagé en cas de soulèvement de la rétine.

Le traitement des lésions de fragilité rétinienne périphérique telles que les palissades est parfois controversé (voir chapitre Périphérie rétinienne).